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Les Hypothèses

 
 

            Dans ce chapitre, nous allons définir ce que sont les hypothèses et leurs fonctions dans la construction d’un plan expérimental.

 

 

1. Nature d’une hypothèse.

           

 

            Une hypothèse est une proposition testable qui est une solution possible à un problème. Si à la suite d’une expérience correctement conduite, elle s’avère vérifiée alors elle devient une solution du problème que l’on s’était posé. A l’inverse si elle se révèle comme expérimentalement non vérifiée, elle n’est donc pas la solution du problème.

 

            Dans le premier cas, nous sommes amenés à dire que cette hypothèse explique les faits qui formaient le problème. Cela signifie que notre hypothèse a établi un lien entre un fait et un autre.

 

            Qu’est-ce qu’un fait dans cette perspective ? Dans le langage courant il s’agit d’un événement dont l’existence ne fait pas de doute. Dans le sens plus précis où nous l’employons un fait désigne  une variable (voir chapitre 3).  Ainsi au lieu de dire de deux faits qu’ils sont reliés nous dirons qu’il existe un lien entre ces variables.

 

 

1.1. Une hypothèse est une solution provisoire à un problème.

 

 

            Un exemple va nous aider à comprendre le sens de cette affirmation. Reprenons le problème évoqué ci-dessus sur l’existence ou non d’un effet d’amorçage sémantique chez les patients schizophrènes. Nous allons nous référer au travail de Duboc (1994) déjà cité. Elle formule ses hypothèses ainsi :

 

  “ Les différents facteurs expérimentaux qui seront mesurés dans notre étude ainsi que les résultats publiés dans la littérature, nous permettent de formuler les hypothèses suivantes :

  1) Le temps de réaction du groupe de patients sera plus long que celui du groupe des sujets contrôles et ce, quelle que soit la condition expérimentale, ainsi que de nombreux travaux utilisant les modèles cognitifs l’ont déjà mis en évidence.

  2) L’effet d’amorçage sémantique sera absent chez les patients schizophrènes présentant des troubles formels de la pensée[1] (TFP+), quelle que soit la condition expérimentale.

  3) L’effet d’amorçage sémantique sera présent chez les patients schizophrènes sans troubles formels de la pensée (TFP-) quand le  “stimulus onset asynchronie”[2] (SOA)  sera suffisament courrt pour éviter l’apparition d’une instabilité des processus cognitifs contrôlés dans ce groupe.”

 

 

 

            Dans son travail, Duboc formule 3  hypothèses de nature différentes.

 

             Sa première hypothèse  relie la diminution du temps de réaction (TR) qu’elle va observer, quelles que soient les circonstances, à une lenteur dans les réponses que fournissent les patients dans toutes les tâches cognitives. Cette hypothèse n’est pas spécifique à sa recherche. Il est toutefois nécessaire qu’elle soit vérifiée pour rendre crédible ses autres hypothèses. Dans le cas contraire, il faudrait interroger  pourquoi elle ne retrouve pas ce résultat robuste. Son groupe de patients est-il réellement un groupe de schizophènes ? Sa tâche expérimentale mettait-elle bien en jeu des processus cognitifs ? Les patients ont-ils réellement respecté les consignes expérimentales qu’ils avaient reçues ? Les appareils de mesure et d’enregistrement qui ont été utilisés ont-ils réellement fonctionné correctement ?  Cette hypothèse a donc pour fonction de relier une variable mesurée à une variable de description clinique pour s’assurer de la validité de ses hypothèses spécifiques.

 

            Sa deuxième hypothèse établit un lien entre l’absence de la modulation du TR par le lien sémantique (voir Chap 1)  et une caractéristique clinique (les troubles formels de la pensée) d’un groupe de patients schizophrènes. Dans la méthodologie de son mémoire, ce chercheur a précisé comment elle mesurerait les temps de réaction et comment serait évaluée la présence des troubles formels de la pensée. Il s’agit d’une hypothèse spécifique supposant que l’auteur a un modèle de la nature des troubles cognitifs qu’elle étudie dans la schizophrénie. Par cette hypothèse elle cherche à valider son modèle. Cela sera le cas si  son hypothèse est vérifiée.

 

                        Sa dernière hypothèse vise à vérifier l’existence d’un lien entre une autre caractéristique clinique,  que l’on peut trouver chez d’autres patients schizophrènes (l’absence de troubles formels de la pensée) et un traitement cognitif normal (l’amorçage sémantique)[3] dans certaines conditions expérimentales et pas dans d’autre (SOA de 0,2 seconde présence de l’amorçage sémantique. SOA plus grand que 0,4 seconde disparition de cet effet).    Le lien, qui doit être établi,  est donc là entre une variable clinique (voir chap 3),  une variable expérimentale manipulée (le SOA) par le chercheur et une variable mesurée (le TR). Il s’agit pour Duboc de valider une autre partie du modèle de la schizophrénie qu’elle cherche à confirmer. 

 

            Ces trois hypothèses nous servent à illustrer que les hypothèses sont des assertions testables d’une relation possible entre deux ou plusieurs variables caractéristiques des faits empiriques. Par empirique nous voulons indiquer que les faits sont issus de l’observation directe de la nature.

 

 

1.2. La formulation d’une hypothèse.

 

 

            L’exemple précédent nous montre que dans la quotidienneté du chercheur, cela revient à :

 

            Formuler le problème qu'il tente de résoudre sous la forme d'une hypothèse qui est une solution possible à son problème. Cette hypothèse doit être une proposition suffisamment générale pour rendre compte du plus grand nombre de phénomènes qui sous-tendent le problème.

 

             Tester l'hypothèse afin de pouvoir conclure à son acceptation ou à son rejet. Ceci est un problème complexe qui dépend, en autre, de la réponse positive à 2 questions :

 

Est-ce que toutes les variables contenues dans l'hypothèse renvoient à des faits observables empiriquement ?

 L'hypothèse est-elle formulée de façon qu'il soit possible de la mettre en relation avec des faits empiriquement observables ?

 

            Si tous les phénomènes, auxquels fait référence l'hypothèse, sont observables par tout un chacun alors le premier critère est rempli. Dans l’exemple choisi, le TR, le SOA et  les troubles formels de l’attention sont des variables que l’on peut décrire avec suffisamment de précision pour que d’autres équipes puissent les utiliser.

            Si l'hypothèse est formulée dans un langage suffisamment clair et précis pour permettre de relier sans ambiguïté le phénomène observé à l'hypothèse afin de pouvoir décider de sa véracité ou de sa fausseté, alors le deuxième critère est rempli. Autrement dit, il faut être vigilant dans la manière de formuler son hypothèse à ce qu'elle renvoie à des phénomènes actuellement observables. La formulation, qu’a choisie Duboc pour ses hypothèses, permet de relier la désorganisation cognitive  des patients  à un trouble dans l’utilisation de l’information sémantique, contenue dans son matériel expérimental.  L’incapacité des patients schizophrènes (TFP+) à utiliser le contexte, crée par le premier mot de la paire chat chien, pour  décider que le mot chien existe dans la langue française, tel que le reflète la disparition d’effet d’amorçage, n’est que le reflet de la désorganisation que tous les cliniciens observent.

 

 

2. Les moyens pour formuler une hypothèse : la relation d'implication.

 

 

            Nous avons dit, plus haut, que les hypothèses étaient des  propositions qui établissaient un lien entre des variables.  De manière plus précise,   la relation d'implication est la forme logique de ce lien. Elle peut se formuler ainsi : "si certaines conditions sont réunies alors certains événements doivent se produire."

            La première partie de la proposition est appelée condition antécédente la deuxième partie condition conséquente.

            Dans la troisième hypothèse de Duboc l’antécédente est “si les sujets sont des schizophrènes sans troubles formels de la pensée et si le SOA est inférieur à 0,4 seconde”.  La conséquente devient “alors le TR dans la condition de paires liées sera plus court que celui dans la condition de paires de mots non liés”.

 

            Une autre formulation possible de cette notion est : "si et seulement si X égale cette valeur alors Y prend cette valeur". En terme mathématique Y est une fonction de X.

 

            Deux erreurs d'interprétation de cette proposition sont à éviter :

 

            Les conditions antécédentes ne sont pas la cause des conditions conséquentes. La raison est qu’une  relation d’implication n’est pas suffisante  pour asseoir une relation causale. Démontrer qu’une variable est une fonction d’une autre ne montre pas nécessairement l’existence d’un lien causal entre les deux. Si, dans la schizophrénie,  la disparition de l’effet d’amorçage est liée à la désorganisation cognitive cela ne signifie pas directement que cette dernière est la cause de ce fait. Entre les deux phénomènes il peut exister une série de mécanismes cachés parmi lesquels un en est la véritable cause.

 

                       Les conditions conséquentes ne sont pas vraies en soi. Il faut que les conditions antécédentes soient vraies pour que les premières soient vraies. La disparition de l’effet d’amorçage sémantique n’est vraie que s’il est testé dans une population de patients schizophrènes désorganisés.

 

 

            Redisons que les hypothèses proposent une solution à un problème et qu’elles  s’expriment sous  forme d’une relation entre deux variables ou plus. Elles apparaissent dans deux modes de raisonnement :

 

            Le raisonnement  inductif  part de  l'observation des faits pour remonter jusqu'à la théorie. Ce mot désigne le procédé par lequel se construisent les sciences expérimentales, qui consiste à s’élever, de l’observation des faits, à l’hypothèse d’une loi explicative. Il s’agit là de passer des faits à la loi.  Cette difficile remontée du donné expérimental à un principe explicatif, caractérise l’induction scientifique. Il s’exprime simplement sous la forme : "Je me demande ce qui se passera si...".  En général ce raisonnement se  rencontre aux premières étapes de l'étude d'un phénomène.

 

 

            Le raisonnement déductif  part d'une théorie ou d’un modèle  pour prédire ce qui va être observé. La déduction est ce  raisonnement direct, progressif et rigoureux. Elle suit l’ordre normal de la dépendance, progressant de la condition (le modèle)  au conditionné (l’observation) et avec sécurité puisque celui-ci est déterminé univoquement par celui-là.  Il s’énonce spontanément  ainsi :  "Je parie que ce phénomène va se produire si".

 

 

 

 

3. Quelles sont les critères d'une bonne hypothèse ?

 

 

 

            Pour résumer les points essentiels de ce chapitre nous dirons d’une hypothèse qu’elle est correcte si :

 

             Elle doit être actuellement testable.

 

             Elle doit être en accord avec les autres hypothèses qui sont formulées dans le champ de recherche. A moins que l’on pense devoir proposer un modèle ou une théorie nouvelle pour expliquer une expérience.

 

             Elle doit être économe dans les mécanismes qu'elles supposent sous-tendre le phénomène qu'elle explique.

 

             Elle doit répondre au problème qu'elle pose.

 

             Elle doit pouvoir se formuler en terme quantitatif

 

             Elle doit être le plus général possible dans sa valeur explicative.

 

 

 

 

 

4. La fonction de guide de L'hypothèse.

 

 

            Les mécanismes qui sous-tendent l'émergence des hypothèses restent propres à chaque chercheur mais il est néanmoins nécessaire que ce dernier formule sa démarche dans le cadre établi de la méthode expérimentale. En ce sens la formulation des hypothèses va servir de guide pour trier parmi les faits ceux qui vont retenir l'attention du chercheur.

 

             L’expérience de la recherche montre amplement que la qualité d’un travail dépend directement de la valeur des hypothèses formulées.  Il est indispensable de prendre le temps nécessaire à cette étape. La rigueur avec laquelle sera réalisée cette tâche amènera un précieux gain de temps lorsqu’il faudra donner une interprétation aux résultats expérimentaux que l’on aura recueillis. De même la généralisation des résultats en sera facilitée.

 

            Il faut s’apercevoir que, dans cette phase, s’effectue une transformation subtile du problème que l’on pose. D’une part, il est nécessaire de faire un pas de côté par rapport à sa pratique clinique pour modifier ses observations ou ses intuitions en propositions logiques communicables à la communauté scientifique. D’autre part, on fait là la rencontre de la question des limites, car c’est l’occasion de s’apercevoir de la nécessité de rabattre ses prétentions à vouloir régler trop rapidement des énigmes d’une grande complexité. On découvre ainsi l’humilité qui consiste à travailler pas à pas sur des questions apparemment moins prestigieuses mais qui sont la clef des “grandes interrogations”.

           

            Enfin, rappelons la valeur heuristique des faits inattendus et ne pouvant s'expliquer dans le cadre des théories dominantes à un moment donné.



[1] Les troubles formels de la pensée témoignent de la dissociation mentale. Ils se manifestent dans le discours des patients par des barrages (arrêt brusque du discours), du fading (ralentissement du discours pendant le quel le sujet semble absent de la conversation), des néologismes ( invention d’un mot non existant dans la langue du sujet), un contenu pauvre et illogique du discours.

[2] Le SOA mesure le temps qui sépare la présentation du premier stimulus de celle du deuxième. Lorsque l’on présente séquentiellement la paire de mots chat / chien le SOA est la durée qui sépare la présentation du mot chat de celui du mot chien. Elle peut varier entre 0,1 à 1 seconde.

[3] L’effet d’amorçage sémantique se calcule en soustrayant du temps de réaction moyen obtenu pour les paires de mots non liées à celui obtenu pour les paires de mots liés.

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