La diffusion de la prégnance de la Raison ou La présentation de l'homme et du monde à l'homme 2ème partie |
Posted by Jean-Paul Laurent (manager) on 01/08/2015 |
Dans l'ouvrage cité dans la première partie, René Thom suggère que le psychisme des mammifères fonctionne suivant deux modes: celui de la prégnance et celui de la saillance. Nous allons présenter succinctement ces deux caractéristiques de la pensée: un aspect corpusculaire (saillant) et un aspect ondulatoire (prégnant).
Une manière de distinguer entre les deux modes cognitifs est de partir de la remarque qu”une forme extérieure peut être perçue par un sujet humain ou animal pour deux raisons :
- soit du fait du caractère abrupt, discontinu d”un stimulus sensoriel: ainsi un flash de lumière, un tintement de sonnette, sont des formes qui se définissent par le contraste qu”elles présentent par rapport à un fond indifférencié sur lequel elles se détachent. R Thom propose d”appeler saillance ce caractère. En raison de ce caractère de jaillissement incoercible à la conscience, les formes saillantes peuvent avoir un certain impact sur l'appareil sensoriel des sujets (on peut être ébloui par un flash de lumière). Toutefois ces effets demeurent transitoire et de courte durée. Par ailleurs, les formes saillantes peuvent s'inscrire dans la mémoire à court terme, mais elles n”ont pas d”effets, en général, à long terme sur le comportement du sujet ni sur son état physiologique.
- au contraire, d”autres formes, même a priori difficilement perceptibles, suscite une attention soutenue de la part du sujet. Ceux sont les formes à intérêt biologique tel que proie, prédateur, partenaire sexuel etc.. R Thom propose de nommer ces formes prégnantes. La reconnaissance de celles-ci suscite une réaction de grande ampleur: libération d”hormones, excitation émotive, comportement d”attraction ou de répulsion à l”égard de la forme inductrice. Chez les mammifères non humains, nous ne trouvons qu”assez peu de prégnances: la faim, la peur, le désir sexuel. Mais ces grandes prégnances biologiques affectent tout le comportement. L”apparition du langage humain complique le schéma précédent: on assiste à une multiplication des prégnances liées à chaque concept mais compensées par une limitation beaucoup plus strict de leur pouvoir de propagation. Chaque concept est une source d”une prégnance qui lui est propre, et qui ne peut s”investir que sur un petit nombre de concepts satellites. En fait le langage humain va modifier profondément la prégnance en la faisant passer des prégnances biologiques aux prégnances symboliques.
Rentrons dans le détail de ce processus qui est concomitant à l”acquisition du langage humain: la prégnance biologique originelle attachée au corps de la mère (son rôle biologique primoprdiale pour la survie de l”infans), se ramifie au cours du développement, essentiellement grâce au processus de la deixis: la mère montre un objet en le touchant, en le pointant, et le nommant. Par cette opération l” infans est introduit au monde et dans le monde de la représentation symbolique (cf 1ère partie). R Thom suggère que “dans ce processus un quantum de la prégnance maternelle est émise par le corps maternel et vient investir l”objet montré ; cet investissement se trouve stabilisé par l”association temporelle avec un mot correspondant. Une partie de la prégnance sur l”objet peut, en quelque sorte, se stabiliser dans l”objet sans nécessairement remonter vers la mère, vers la forme sources initiale. D”où le rôle fondamental du langage dans cette stabilisation des prégnances émises qui finissent par perdre toute connexion à la mère, éventuellement même toute utilité pragmatique et deviennent de simple concept ” (op. cit. pp 484-485). L”enjeu de la Raison réside dans cette capacité ou non de la prégnance biologique à se séparer, à se détacher du corps maternel et à se stabiliser dans le mot pour se convertir en prégnance du concept que nous proposons de nommer prégnance symbolique. Ce faisant l”infans perd la capacité à réinvestir le corps maternel et gagne l”accès à l”activité classificatoire du concept. Ainsi le langage suppose ce travail de décollement d”avec l”opacité muette du corps et fait du mot une prégnance locale à capacité de propagation étroitement. Cette dernière est contrôlée par l” agencement de la langue et les structures cognitives qui la porte.
Précisons que les saillance sont des formes individuelles dans un espace euclidien. Les prégnances sont des actions propagatives émises par les formes saillantes, qui investissent ces formes, et cet investissement provoque dans l”état de ces formes des transformations appelées effet figuratives. On peut regarder une prégnance comme un fluide invasif qui se propage dans le champ des formes saillantes perçues, la forme saillante jouant le rôle d”une fissure du réel par où percole le fluide envahissant de la prégnance. Lorsque des prégnances d”origine biologique investissent un animal, elle y produit des effets visibles, dit effet figuratif. Ces effets, perçus par un congénère, peut amener le sujet percevant à subir l”influence de la même prégnance. Ainsi, le cri d”alarme poussé par un animal à la vue d”un prédateur propage la prégnance peur à l”intérieur de la communauté. Cette propagation a lieu, selon les deux modes : propagation par contiguïté propagation par similitude. La propagation par similarité s”exerce principalement sur le plan symbolique de la signification (c”est la base de l”analogie), ainsi que dans les systèmes formaliser de l”algèbre et de logique, où les axiomes sont les formes universelles.
Nous reviendrons dans une prochaine dernière partie sur les conséquences de ces notions pour la compréhension des troubles de la pensée que présentent les patients schizophrènes.
Last changed: 06/12/2018 at 16:20
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