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La schizophrénie est-elle le prix à  payer pour l'animal parlant

Posted by Jean-Paul Laurent (manager) on 01/08/2015
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Dans une série d'articles, Tim Crow propose que la schizophrénie soit le corollaire de ce que l'homme soit un animal parlant. Il avance que le langage et la psychose seraient le produit d'une mutation génétique à l”origine de l'espèce humaine. Il considère que les transformations communes à toutes les populations humaines (liées à l”évolution du cortex associatif hétéromodal) seraient les clés permettant de  résoudre les problèmes associés à l”origine du langage, à  la spécificité de l'espèce  humaine et à la prédisposition aux psychoses.

Plus précisément ce chercheur postule que la capacité à développer un  langage chez l'être parlant ait été le résultat d”une mutation génétique. Cette mutation  a permis une différentiation de la latéralisation  des fonctions cérébrales.  Cela s'est traduit par une augmentation de la taille de l”hémisphère droit comparé au gauche  dans les zones frontales et un mouvement inverse dans les zones occipito-pariéto-temporales conduisant dans ces zones  à un accroissement de l”importance de l”hémisphère gauche par rapport au droit. La schizophrénie serait la manifestation d'une fluctuation génétique associée à l”apparition du langage. Elle  résulterait d”une variation dans la mutation ou d”une modification épigénétique de l”expression de la mutation ayant permis l”apparition du langage.  De fait, les patients schizophrènes présentent une asymétrie structurale et fonctionnelle hémisphérique moindre que la population générale qui peut être vue comme un échec dans la mise en place de la dominance cérébrale pour le langage. Ainsi la question de la schizophrénie et celle de l”origine de l”animal parlant apparaîtrait comme les deux faces d”une même pièce.

T. Crow propose que les symptômes nucléaires de la schizophrénie, définis  par K. Schneider en tant que  symptômes de 1er rang,  s”interprètent comme  l”échec de l”implémentation de la dimension linéaire et chronologique du langage, ce que révèle  le niveau phonologique, dans l”hémisphère dominant. Cet échec aurait pour conséquence une rupture dans le processus d”attribution des pensées  et des paroles à soi-même  ou à autrui.

Face aux  résultats décevants des études de liaison génétique  dans  les familles de patients  schizophrènes, T. Crow pointe l”attention sur l”importance qu”ont pu jouer des mutations survenues sur les chromosomes sexuels X et Y   pour permettre à l”espèce humaine d”émerger. Il porte son intérêt en particulier sur  les allèles  Xq21.3/Yp11.2 de ces chromosomes. Ces régions  codent  pour une famille de protéines: les protocadherines. La fonction de ces molécules est de réguler l”adhésivité des membranes entre cellules au niveau des jonctions des synapses axo-dendritiques.  Cela permet aux axones des neurones  de se diriger dans le tissus cortical.

Nous partageons avec Tim Crow l”idée que la schizophrénie est un trouble spécifique à l”espèce humaine et  liée à la fonction langagière. Tout d”abord parce cette pathologie  se manifeste principalement par une désorganisation du discours que révèle les troubles de la forme et du contenu de la pensée. Cela peut être aisément constaté au contact de la vie quotidienne de ces patients.  Par ailleurs, l”observation de leurs difficultés dévoile que  la séparation entre les mots et les choses est incertaine comme l”avait observé  S Freud “ils traitent les  représentations de mots comme des représentations de choses” (in L”inconcient 1915). Ce qui peut être reformulé ainsi: l”écart entre la vie de la représentation et les objets du monde réel est vacillant.  Le travail de décollement d”avec l”opacité muette du corps par le langage a échoué. Le statut du mot, en tant que prégnance locale à capacité de propagation étroitement contrôlée par l”agencement de la langue et les structures cognitives qui la portent n”a pu s”instaurer de manière stable. Cela témoigne d”un enlacement  avec soi-même.

C”est sur ce dernier point  que l”écart se creuse entre  notre opinion et celle de T. Crow. Les points d”accord portent sur la spécificité humaine des psychoses et sur le rôle centrale du langage dans ces dernières mais nos avis divergent sur les causes que l”on envisage l”un et l”autre pour interpréter ces faits.

T. Crow privilégie les causes matérielles et après avoir écarté d”autres causes de ce type avance celles génétiques. Si on ne limite pas la causalité des psychoses aux causes matérielles, alors  nous pouvons partager la position de T. Crow. Une mutation génétique est sans doute une des causes qui a permis l”apparition de l”animal parlant.  Mais il convient de prendre  une attitude  prudente face à la doxa actuelle qui accorde un rôle exclusif aux gènes dans la régulation des populations cellulaires, dans la morphogenèse. Elle ignore le rôle du fond cytoplasmique. Rappelons à ce point une opinion émise par R Thom sur cette question: “Ce que, dans une prégnance, la génétique peut programmer, en revanche, c”est la structure topologique globale du puits de potentiel, en particulier le schéma global de ses vallées descendantes. Il peut y avoir des divergences qui seraient ainsi préprogrammées, conduisant à une ramification de formes source. On verra que l”origine du langage humain et à chercher dans cette direction. Dans une telle optique, la forme source serait pas définie en tant que formes visuelles mais en tant que place abstraite d”une catégorie, d”un trou noir qui sera rempli par les premières expériences sensorielles du nouveau-nées. Il y a ainsi dans l”organisation globale des prégnances une sorte de tendance à la divergence, ou à la convergence, plus ou moins programmer génétiquement. Et remplissage des sommets, des trou noir serait plutôt un acquis culturel (ou à tout le moins épigénétique).(in Apologie du Logos,1990)”. Nous reviendrons sur ce point dans un prochain article.

Ce qui fonde notre désaccord avec l”opinion de T. Crow peut se résumer en  trois points:

  • Au niveau les causes matérielles les gènes ne sont pas seul en cause comme nous venons de l”écrire ci-dessus.
  • La causalité ne peut se réduire aux seules causes matérielles. la position de T. Crow méconnait l”importance chez l”être parlant de la vie de la représentation qui fait de l”animal parlant un animal politique (politicon zoon) suivant  l”heureuse formule d”Aristote. La vie de la représentation est un postulat anthropologique qui tire les conséquences de ce que l”être humain parle et de se fait est séparé entre les mots et les choses. Cela rend nécessaire un autre ordre de causalité que celui des causes matérielles. La vie de la représentation appartient à l”univers et des causes motrices et des causes finales. Dans des articles antérieurs nous avons tenté de définir les aspects saillants et prégnants des processus vivants. La vie de la représentation relève de la prégnance.
  • La perte des limites entre soi et l”autre ne peut pas être simplement expliquée par une mauvaise installation des caractéristiques phonologiques de la langue dans l”hémisphère dominant. Il est indispensable que soit posé, au coeur du principe de Raison, l”existence de cette vie de la représentation qui est la matière de tous les montages anthropologiques. Le langage est en quelque sorte le motif, l”abaque, le point de départ à la mise en place de cette vie de la représentation si mal en point dans les psychoses. La vie de la représentation est le “script”, découvert par S. Freud, qui rend habitable la division du sujet entre soi et l”image de l”Autre en soi. Ainsi Rimbaud (1854-1891), dans une lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871 pouvait-il s’exclamer « je est un autre ». De même, le jeune enfant découvre sa division subjective dans l”expérience du miroir qui le fait rentrer dans le monde de la Raison et par voie de conséquence dans celui des raisons de vivre. Selon le Grand Robert un script dans le langage financier est un “Écrit remis à un créancier, à un obligataire, par une collectivité qui ne peut payer les intérêts ou rembourser les capitaux intégralement”.  Il s”agit bien, à nos yeux,  de cet emprunt que la vie de la représentation souscrit auprès de de la vie biologique. L”acceptation de ce déchirement humain fonde la nécessité de ces deux formes de causes: les causes motrices et les causes finales ce qui passe par la mise en scène d”une présentation du monde et de l”homme à l”homme selon une formule de P. Legendre (in La 901e conclusion, Fayard 1998) que nous avons commenté dans un article précédent. Ce point de vue ne peut pas être pris en compte par T. Crow.   C”est précisément ce qui a été laissé de côté car inassimilable dans le développement  de la Science et qui est le savoir sur le Sujet.

Références:

Crow T. J., 2000. Schizophrenia as the price that Homo sapiens pays for language: a resolution of the central paradox in the origin of the species. Brain Research Reviews 31(2-3): 118-129.

Berlim M. T., Mattevi B. S., Belmonte-de-Abreu P. and Crow T. J., 2003. The etiology of schizophrenia and the origin of language: Overview of a theory. Comprehensive Psychiatry 44(1): 7-14.

Crow T. J., 2007. How and why genetic linkage has not solved the problem of psychosis: review and hypothesis. Am J Psychiatry 164(1): 13-21.

Crow T. J., 2008. The “big bang” theory of the origin of psychosis and the faculty of language. Schizophrenia Research 102(1-3): 31-52.

 

Last changed: 06/12/2018 at 16:31

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