La schizophrénie est-elle le prix à payer pour l'animal parlant |
Posted by Jean-Paul Laurent (manager) on 31/07/2015 |
Dans une série d'articles, Tim Crow propose que la schizophrénie soit le corollaire de ce que l'homme soit un animal parlant. Il avance que le langage et la psychose seraient le produit d'une mutation génétique à l”origine de l'espèce humaine. Il considère que les transformations communes à toutes les populations humaines (liées à l”évolution du cortex associatif hétéromodal) seraient les clés permettant de résoudre les problèmes associés à l”origine du langage, à la spécificité de l'espèce humaine et à la prédisposition aux psychoses.
Plus précisément ce chercheur postule que la capacité à développer un langage chez l'être parlant ait été le résultat d”une mutation génétique. Cette mutation a permis une différentiation de la latéralisation des fonctions cérébrales. Cela s'est traduit par une augmentation de la taille de l”hémisphère droit comparé au gauche dans les zones frontales et un mouvement inverse dans les zones occipito-pariéto-temporales conduisant dans ces zones à un accroissement de l”importance de l”hémisphère gauche par rapport au droit. La schizophrénie serait la manifestation d'une fluctuation génétique associée à l”apparition du langage. Elle résulterait d”une variation dans la mutation ou d”une modification épigénétique de l”expression de la mutation ayant permis l”apparition du langage. De fait, les patients schizophrènes présentent une asymétrie structurale et fonctionnelle hémisphérique moindre que la population générale qui peut être vue comme un échec dans la mise en place de la dominance cérébrale pour le langage. Ainsi la question de la schizophrénie et celle de l”origine de l”animal parlant apparaîtrait comme les deux faces d”une même pièce.
T. Crow propose que les symptômes nucléaires de la schizophrénie, définis par K. Schneider en tant que symptômes de 1er rang, s”interprètent comme l”échec de l”implémentation de la dimension linéaire et chronologique du langage, ce que révèle le niveau phonologique, dans l”hémisphère dominant. Cet échec aurait pour conséquence une rupture dans le processus d”attribution des pensées et des paroles à soi-même ou à autrui.
Face aux résultats décevants des études de liaison génétique dans les familles de patients schizophrènes, T. Crow pointe l”attention sur l”importance qu”ont pu jouer des mutations survenues sur les chromosomes sexuels X et Y pour permettre à l”espèce humaine d”émerger. Il porte son intérêt en particulier sur les allèles Xq21.3/Yp11.2 de ces chromosomes. Ces régions codent pour une famille de protéines: les protocadherines. La fonction de ces molécules est de réguler l”adhésivité des membranes entre cellules au niveau des jonctions des synapses axo-dendritiques. Cela permet aux axones des neurones de se diriger dans le tissus cortical.
Nous partageons avec Tim Crow l”idée que la schizophrénie est un trouble spécifique à l”espèce humaine et liée à la fonction langagière. Tout d”abord parce cette pathologie se manifeste principalement par une désorganisation du discours que révèle les troubles de la forme et du contenu de la pensée. Cela peut être aisément constaté au contact de la vie quotidienne de ces patients. Par ailleurs, l”observation de leurs difficultés dévoile que la séparation entre les mots et les choses est incertaine comme l”avait observé S Freud “ils traitent les représentations de mots comme des représentations de choses” (in L”inconcient 1915). Ce qui peut être reformulé ainsi: l”écart entre la vie de la représentation et les objets du monde réel est vacillant. Le travail de décollement d”avec l”opacité muette du corps par le langage a échoué. Le statut du mot, en tant que prégnance locale à capacité de propagation étroitement contrôlée par l”agencement de la langue et les structures cognitives qui la portent n”a pu s”instaurer de manière stable. Cela témoigne d”un enlacement avec soi-même.
C”est sur ce dernier point que l”écart se creuse entre notre opinion et celle de T. Crow. Les points d”accord portent sur la spécificité humaine des psychoses et sur le rôle centrale du langage dans ces dernières mais nos avis divergent sur les causes que l”on envisage l”un et l”autre pour interpréter ces faits.
T. Crow privilégie les causes matérielles et après avoir écarté d”autres causes de ce type avance celles génétiques. Si on ne limite pas la causalité des psychoses aux causes matérielles, alors nous pouvons partager la position de T. Crow. Une mutation génétique est sans doute une des causes qui a permis l”apparition de l”animal parlant. Mais il convient de prendre une attitude prudente face à la doxa actuelle qui accorde un rôle exclusif aux gènes dans la régulation des populations cellulaires, dans la morphogenèse. Elle ignore le rôle du fond cytoplasmique. Rappelons à ce point une opinion émise par R Thom sur cette question: “Ce que, dans une prégnance, la génétique peut programmer, en revanche, c”est la structure topologique globale du puits de potentiel, en particulier le schéma global de ses vallées descendantes. Il peut y avoir des divergences qui seraient ainsi préprogrammées, conduisant à une ramification de formes source. On verra que l”origine du langage humain et à chercher dans cette direction. Dans une telle optique, la forme source serait pas définie en tant que formes visuelles mais en tant que place abstraite d”une catégorie, d”un trou noir qui sera rempli par les premières expériences sensorielles du nouveau-nées. Il y a ainsi dans l”organisation globale des prégnances une sorte de tendance à la divergence, ou à la convergence, plus ou moins programmer génétiquement. Et remplissage des sommets, des trou noir serait plutôt un acquis culturel (ou à tout le moins épigénétique).(in Apologie du Logos,1990)”. Nous reviendrons sur ce point dans un prochain article.
Ce qui fonde notre désaccord avec l”opinion de T. Crow peut se résumer en trois points:
Références:
Last changed: 06/12/2018 at 16:31
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